Les entreprises font face actuellement à un double défi.
Le premier défi est celui de l’augmentation du prix de l’énergie. La forte hausse du prix de l’énergie met à mal l’équilibre financier des entreprises gourmandes en gaz ou électricité.
Le prix de l’énergie représentait en 2021 environ un tiers de leurs charges ; or, l’explosion du prix fait qu’aujourd’hui il représente deux tiers de celles-ci.
La hausse n’est pas conjoncturelle : elle est structurelle. Elle est certes boostée par des facteurs conjoncturels comme la consommation énergétique de la Chine, plus importante que prévue, ou les problèmes du pipeline Nord Stream 2 pour les besoins en gaz de l’Europe. Mais la réalité est que la demande énergétique augmente partout et que les solutions comme l’énergie nucléaire sont longues et compliquées à mettre en place.
En attendant la mise en œuvre de solutions alternatives, la meilleure solution à court terme est donc de diminuer la consommation.
Le second défi est celui de la pénurie de compétences. Les difficultés de recrutement sont le premier frein de l’activité des PME en France selon le baromètre publié par BPI France et l’institut Rexecode (novembre 2021). Ce baromètre indique que 70% des entreprises interrogées estiment rencontrer des contraintes à sourcer des candidats. Cette pénurie touche de très nombreux secteurs d’activité et les entreprises de toutes tailles. L’hôtellerie et la restauration ont vu pas moins de 237 000 salariés quitter leur secteur depuis le début de la pandémie Covid 19.
Les conséquences ne tardent pas à se faire ressentir, puisque 1 PME française sur 3 est contrainte de réduire ses ambitions de développement par manque de compétences. Peu de CV, ou alors pas suffisamment qualifiés… et quand le process donne lieu à l’organisation d’un entretien …nombreux sont les candidats à ne plus se déplacer (sans prévenir ni s’excuser). Et cet écart entre le nombre de postes à pourvoir et le nombre de candidats va continuer à se creuser : la loi de Moore s’applique toujours, le digital ouvre des perspectives d’océans bleus.
Pénurie des ressources vs. création de valeur
Le constat est donc celui d’une double pénurie, qui touche deux ressources indispensables à la création de valeur : la ressource énergétique et la ressource humaine.
Le concept de création de valeur est polymorphique. Alors que la création de valeur repose encore principalement sur une approche économique et séquentielle et est destinée au seul client, Desmarteau et ali (2021) proposent qu’elle s’appréhende dans une perspective processuelle où l’appréciation de la valeur se construit en situation dans un arbitrage entre parties prenantes. Sur la dimension architecturale, les mêmes auteurs considèrent que l’architecture organisationnelle de la valeur est construite à partir, d’une part, de ressources et de compétences spécifiques (internes ou externes) que l’entreprise est amenée à mobiliser et à combiner et, d’autre part, de la capacité dialogique de l’entreprise à orchestrer de façon complémentaire des compétences distinctes externes, alors que la création de valeur est souvent présentée comme reposant sur une architecture stratégique de ressources et compétences dont l’agencement est rarement questionné.
Le challenge est donc le suivant : en attendant de nouvelles sources d’énergie (nucléaire, électrification…) et de nouveaux modes de production (robotisation, intelligence artificielle), comment les entreprises peuvent-elles consacrer leurs rares ressources énergétiques et humaines à la création de valeur ?
Le lean management est une des réponses possibles à cet enjeu de sobriété. Le lean management a en effet comme objectif de de créer le plus de valeur possible en consommant le moins de ressources possibles.
Le lean et l’énergie
Le lean (« maigre » en anglais) dispose d’outils qui, transposés au domaine de l’énergie, permettent de détecter les gaspillages et d’optimiser la consommation d’énergie. Un outil comme la Value Stream Mapping (VSM), orienté vers l’identification des Non Valeurs Ajoutées Energétiques (NVAE), permet de détecter les maillons consommateurs d’énergie et créant peu de valeur. En déployant des résolutions de problème de type PDCA (Plan-do-Check) ou roue de Deming ou DMAIC (Define – Mesure- Analyse -Improve-Control), les causes racines de ces excès de consommation sont analysées et des contre-mesures identifiées. Une fois l’efficacité de ces contre-mesures prouvée, la « cale » est mise grâce aux standards. Les actions de sobriété énergétiques sont ainsi stabilisées. D’autres outils peuvent être mobilisés, par exemple les diagrammes spaghetti pour optimiser les déplacements. N’oublions pas que le lean a tout d’abord identifié 7 gaspillages (les Mudi) contre lesquels il propose de se battre au quotidien : transport et déplacement inutiles, stocks excessifs, surproduction, l’attente, non-qualité, gestes inutiles et processus excessifs.
Le lean et les talents
Le lean postule également qu’une organisation génère du Muri lorsqu’elle place ses équipes dans une situation de stress en lui demandant un travail déraisonnable ou inutile qui excède sa capacité. Pousser le système au maximum puis le restabiliser à son régime habituel est une variabilité très consommatrice d’énergie.
Le lean, dans sa dimension managériale, est également un formidable levier de fidélisation de ses collaborateurs et de maintien des talents dans l’organisation. Si la dimension managériale du lean est ancrée dans le fonctionnement de l’entreprise, celle-ci dispose d’atouts décisifs pour faire face à la pénurie de compétences et dépasser ses concurrents.
Le manager qui a intégré la philosophie du lean dans les rituels managériaux n’est plus un manager « Solutions » mais un manager « Ressources ». Le manager « Solutions » est persuadé que son cerveau est plus puissant que les cerveaux de ses collaborateurs. Il est également persuadé avoir la solution à tous les problèmes. Le manager « Ressource », lui, a compris que sa légitimité naît de sa capacité à se mettre à disposition de son équipe, à fédérer, animer pour que son équipe, par l’intelligence collective, trouve par elle-même les meilleures solutions.
En connectant ses collaborateurs et leurs expertises, en développant leur autonomie et en les responsabilisant, le leader « Ressources » permet à chacun de ses équipiers de s’enrichir des compétences des autres, de se développer, de progresser et de trouver un sens à son action. De savoir pourquoi il se lève le matin.
Pour parvenir à parcourir ce chemin du manager « Solutions » au manager « Ressources », le manager peut s’appuyer sur les rituels managériaux prescrits par le lean management. Ces rituels lui permettent de détecter les irritants et de les résoudre, de se déplacer régulièrement sur le terrain, de relier les experts et les opérationnels autour de résolutions de problèmes. En intégrant ces rituels dans son agenda standard, le manager améliore la satisfaction collaborateurs, fidélise ses équipiers et contribue aux actions mises en œuvre pour faire face à la pénurie de ressources humaines.
Références :
Desmarteau, R. H., Saives, A.-L., Schieb-Bienfait, N., Emin, S., Boldrini, J.-C. & Urbain, C. (2020). La création de valeur : glas ou Graal ? Revue critique et modélisation du concept. Management international / International Management / Gestiòn Internacional, 24, 91–108. https://doi.org/10.7202/1077436ar
Vaal, A., Berger-Remy, F. (2022) Sobriété dans la consommation : clarification conceptuelle et agenda de recherche JOURNÉE D'ÉTUDE "LES SCIENCES DE GESTION À L'ÉPREUVE DE LA SOBRIÉTÉ"
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